Manikéamania
Manikéamania : Archéologie d’un jeu de rôle sur table pionnier dans l’enseignement de la littérature au Québec
Une recherche sur l’émergence des jeux de rôle sur table (JDR) a révélé un intérêt croissant pour ce médium depuis le tournant des années 1980 au Québec. L’histoire des jeux, des communautés et des pratiques associées au JDR québécois durant ses années d’implantation demeure mal connue, car consignée dans des matériaux épars, souvent artisanaux et dont le sens est transmis dans l’oralité ou des publications peu accessibles aujourd’hui. Il s’agit-là d’une richesse patrimoniale et culturelle souvent méconnue. Dans l’esprit de contribuer à la documentation de cette histoire, le Laboratoire ludique a mené un projet d’archéologie du jeu en produisant la première copie physique du jeu Manikéamania à exister depuis 40 ans, à partir des règles publiées en 1982 par son créateur, le professeur André Durand au Collège Jean-de-Brébeuf. Ce jeu novateur, quasi tombé dans l’oubli depuis sa création, est une pièce d’importance dans l’histoire de l’émergence du JDR comme pratique ludique et pédagogique au Québec. Conçu dans le cadre d’un cours de littérature fantastique et présenté lors de la demi-journée d’étude « Mondes imaginés » tenue au Laboratoire ludique du Service des bibliothèques le 26 octobre 2023, Manikéamania s’inscrit comme un objet d’étude fondamental pour comprendre les dynamiques de l’archéologie du jeu et ses implications dans les expériences ludiques contemporaines.
Par ce projet, le Laboratoire ludique répond à un appel plus large, invitant à contribuer à « la préservation des jeux, des cultures ludiques et à l’histoire des jeux par l’utilisation de méthodes et de théories archéologiques appropriées. » (Manifesto, Interactive Past Conference, 2016)
Développé dans un contexte éducatif, Manikéamania se distingue par son approche intégrative qui lie la narration, l’imagination et la pédagogie. En tant que précurseur des JDR au Québec, il a contribué à forger un lien entre l’apprentissage théorique et une pratique ludique. Ce jeu proposait aux étudiants d’explorer des thèmes fantastiques en les plongeant dans un univers fictif de cocréation et d’intercréativité, leur permettant ainsi de développer des compétences critiques tout en favorisant l’engagement et la créativité.
La reconstitution de Manikéamania par l’Atelier de reliure de l’UQAM a non seulement permis de préserver ce trésor historique, mais a également offert un cadre de réflexion sur l’évolution des pratiques ludiques et leurs adaptations pédagogiques. L’interaction entre participants, dirigée par les règles et les scénarios du jeu, a offert un terrain fertile pour l’analyse des interactions sociales et des dynamiques de groupe.
L’archéologie du jeu, en tant que champ d’étude, s’intéresse à la veille des pratiques ludiques à travers le prisme des artéfacts, des règles et des narrations qu’ils portent. Manikéamania, l’un des premiers JDR au Québec utilisé dans un cadre académique, s’impose comme un artéfact majeur à examiner. Sa conception artistique, ses mécanismes de jeu, ainsi que son intégration dans le paysage socio-historique québécois, offrent un éclairage précieux sur l’évolution des JDR et leur impact durable sur le développement de cette forme de divertissement.
En effet, l’étude de Manikéamania met en lumière des facettes souvent ignorées des JDR : leur capacité à façonner des cultures de groupe, à encourager la créativité, et à servir de catalyseurs pour l’exploration littéraire et fantastique. À travers ce jeu, les élèves n’étaient pas seulement des consommateurs passifs de récits, mais des co-créateurs, engageant leur imagination tout en développant leurs compétences analytiques.
En conclusion, Manikéamania ne constitue pas seulement un jalon dans l’histoire des jeux de rôle sur table au Québec, mais représente également un vecteur d’innovation pédagogique et culturelle. Sa place dans l’archéologie du jeu souligne l’importance des objets ludiques comme témoins de rituels sociaux et éducatifs. L’exploration des contributions de Manikéamania à la définition des expériences ludiques contemporaines prépare le terrain pour de futures recherches sur l’impact des JDR dans le développement des compétences créatives et critiques chez les apprenants. En réintroduisant des éléments historiques dans le discours contemporain sur le jeu, Manikéamania éclaire le chemin vers une meilleure compréhension des interactions ludiques et apprend à valoriser ces expériences au sein du champ éducatif et culturel.